[OST] Dragon Quest, pionnier musical du J-RPG

Alors que l’année 2017 a été très prolifique dans le domaine des bandes-originale de jeux vidéo de qualité, quel que soit leur genre, les J-RPG se sont particulièrement distingués, notamment Nier Automata, Persona 5 et Ys VIII, pour ne citer qu’eux.

Le premier cité s’est d’ailleurs fait remarquer pour la qualité de son design sonore, d’autant plus remarquable qu’il rompt finalement avec un classicisme qui trouve sa source 31 ans en arrière, lors de la sortie du premier Dragon Quest, le jeu qui a posé des bases parfois sublimées, mais jamais remises en cause jusqu’alors. Et nous voici partis dans un voyage vers le passé, celui du 8-Bit, pour comprendre à quel point la bande-son d’un seul jeu en a influencé tellement d’autres pendant plusieurs décennies, alors que le genre du J-RPG semble sur le point d’évoluer vers de nouveaux horizons.

 

Koichi Sugiyama, un classique parmi les classiques

Replaçons déjà les choses dans leur contexte. En 1986 sort au Japon Dragon Quest, un RPG dont le succès va entraîner la création de nombreux émules (dont Final Fantasy). Enix, propriétaire de la licence, saura capitaliser sur le génie de Yuji Horii, le démiurge de la saga, celui d’Akira Toriyama, mangaka célèbre notamment pour très bien dessiner les enfants à queue de singe, mais aussi sur les musiques de Koichi Sugiyama, 55 ans en 1986 (86 ans aujourd’hui).

Ce compositeur pour séries, animés et publicités fut un précurseur, qui permit au jeu vidéo d’acquérir une plus grande légitimité au Japon en organisant les premiers concerts symphoniques dédiés à ce médium. Sans revenir sur l’entièreté de son œuvre ou de son influence (pour plus d’infos, voir le livre de Daniel Andreyev sur Dragon Quest), il faut mettre en avant ses influences classiques, comme le baroque Jean-Sébastien Bach ou l’impressionniste Debussy, ce dernier ayant aussi marqué un certain Nobuo Uematsu sur lequel nous reviendrons.

Dès 1986, donc, Dragon Quest débarque au Japon. Malgré les contraintes techniques de la Famicom (NES chez nous), Sugiyama parvient à créer huit thèmes qui vont marquer durablement le genre. Il faut d’ailleurs noter que ces huit morceaux sont les seuls du jeu. Sugiyama devait donc créer des sons suffisamment entraînants pour être écoutés des dizaines, des centaines, voire des milliers des fois. Et il y est parvenu, le bougre ! Petit tour des huit archétypes qu’il a contribué à populariser, avec quelques exemples marquants.

 

Le grand huit du J-RPG

L’introduction/l’ouverture :

L’exercice n’est pas réservé aux J-RPG, ni même aux jeux vidéos, mais il reste indispensable pour capter le joueur dès que son expérience de jeu commence : l’introduction d’un J-RPG est d’autant plus cruciale qu’elle est souvent accompagnée par une cinématique travaillée qui va donner le ton de la direction artistique du jeu. Ce qui marque dans l’ouverture de Dragon Quest et qui explique qu’elle ait été reprise ensuite pour chaque jeu (avec quelques remaniements pour seule nouveauté), c’est sa simplicité épique et sa capacité à évoquer l’aventure. Même sur FAMICOM/NES, on a l’impression d’entendre des trompettes proclamer l’arrivée d’un héros. Remarquable, même 31 ans après.

Heureusement, cet article n’est pas un catalogue, sinon il serait beaucoup trop long. Les J-RPG nous ont gratifiés d’un nombre hallucinant d’ouverture épiques, vous me pardonnerez donc de mettre en avant des choix assez personnels. Même si je suis certain de ne pas être le seul à avoir des frissons dès que j’entends les baleines de l’introduction de Secret of Mana.

Quel pied ! Quel madeleine ! Et ce n’est pas comme si le reste de la bande-son n’était pas au niveau : toute l’OST de Secret of Mana est légendaire, grâce au génial Hiroki Kikuta, qui créera plus tard le studio Sacnoth. Plus près de nous, et d’une tonalité toute autre, l’introduction de Persona 3 prévient d’emblée le joueur  : attention, ce jeu n’est pas comme tous les autres. Et pourtant, lui aussi vous veut du bien.

Bon, et puisque tant qu’à faire, parler d’intros de JRPG sans Final Fantasy tient de la faute de goût, voici un jeune homme blond qui tape dans un ballon, sous l’eau, le tout sur fond de musique métal. De rien ! PS : on pourrait considérer que la « vraie » introduction est celle-ci et je ne peux pas balayer l’argument d’un revers de main. Disons qu’il s’agit d’un prélude… non pas celui-ci hein, un amuse-bouche quoi ! Bon j’arrête sinon vous pourriez commencer à croire que je fais exprès de rajouter des liens vers la musique de FF X… ce ne serait vraiment pas mon genre 😉

La ville :

Initialement, le thème de la ville est censé marquer une rupture avec le reste du monde extérieur. Ici, on se repose, on soigne ses blessures, on achète de l’équipement et si le jeu n’est pas trop basique, on discute avec les PNJ pour en apprendre plus sur l’univers. Cela dit, la musique peut très bien s’en charger : dans Wild Arms, le thème des villes met en avant l’ambiance western du jeu avec un air qui rappelle le sifflement d’un cow-boy. Un thème qu’on retrouve dans plus d’une vidéo de youtubeur, ce qui montre que ces derniers ont bon goût.

Avec le temps et les capacités toujours plus importantes des jeux vidéos, les RPG peuvent se permettre d’inclure plusieurs thèmes de villes par jeux, pour encore mieux caractériser les différents peuples rencontrés par le joueur. À ce petit jeu-là, Suikoden 2 est un vrai champion dont tous les thèmes de villes pourraient être cités ici. On va donc évoquer celui qui se mérite le plus, le thème de Rokkaku, Secret village of the ninja (qui comme son nom l’indique, n’est VRAIMENT pas facile à trouver). Sans rien ajouter parce qu’à ce niveau-là, plus besoin de mots.

Le château :

Il s’agit probablement de l’archétype le plus démodé, à cause de sa redondance avec le thème de la ville. À l’origine, Dragon Quest l’utilise pour marquer la différence entre la capitale et les villes rencontrées pendant l’aventure. Il s’agit donc d’un morceau marquant, mais qui ne reviendra pas souvent au fil de votre périple. À moins qu’on ne considère les Quartier Généraux des Suikoden comme des châteaux, ce qu’ils sont très souvent. Mais bon, on vient déjà d’évoquer la saga, on ne va pas recommencer d’emblée.

Bon allez, juste une fois ! (PS : notez au passage qu’une fois votre base suffisamment remplie, le thème évolue et devient plus dynamique).

Cela dit, rien ne vaut les classiques et le thème de Baron, la capitale du royaume éponyme de Final Fantasy IV, fait certainement partie de ceux-là. La musique martiale évoque parfaitement l’abnégation militaire des habitants, manipulés par une force obscure qui souhaite détruire le monde.

La carte :

Aaah, la carte du monde. De magnifiques souvenirs en perspective, surtout pour tous ceux qui ont connu la période dorée de la PS1. Là aussi, cet archétype devient logiquement plus rare puisque les cartes elles-mêmes ont presque disparues depuis la génération PS2. Ce qui nous laisse néanmoins avec un corpus impressionnant, dont Chrono Cross n’est pas le moindre représentant. Conseil : prenez un mouchoir avant d’écouter ce qui suit. Je suis sérieux.

Certains jeux se permettaient même un thème de carte du monde par CD, comme Legend of Dragoon. Personnellement, je préfère le deuxième, plus optimiste que le premier et moins anxiogène, sans être caricatural.

Le combat :

Lorsque vient l’heure de composer un thème de bataille pour un J-RPG, on ne peut qu’imaginer le casse-tête des compositeurs, qui doivent créer des musiques faites pour être entendues des heures durant. Les combats « classiques » (les boss sont évoqués plus loin) sont un pilier du genre, une musique fadasse ne peut qu’enrayer le dynamisme des affrontements. Et puisqu’il faut une illustration, autant utiliser la toute première que de nombreux joueurs ont du entendre en jouant à FF VII :

Rien que cette année encore, nous avons eu droit à des thèmes marquants. Je vous livre ici le plus fort à mon sens, celui de Persona 5, tellement entraînant qu’il a permis la création de nombreux memes en 2017  :

Le donjon :

À l’inverse du thème de ville, celui du donjon doit installer une menace, et mettre en avant le thème de la caverne, de la tour, bref de l’endroit où le joueur va enchaîner exploration et combats. Mention spéciale d’ailleurs, à ceux de Persona 3 qui deviennent de plus en plus complexes au fur et à mesure de la progression dans le Tartarus. Ceci dit, peu m’ont autant marqué que Devil’s lab de Final Fantasy VI, probablement parce que son esthétique « savant-fou » s’est retrouvé dans plusieurs autres musiques de J-RPG par la suite.

Toujours à propos de la génération SNES, même s’il a fallu attendre la DS en Europe pour y jouer, Secret of the forest de Chrono Trigger est un thème excellent pour mettre en avant une forêt certes inquiétante, mais aussi merveilleuse. Un thème tellement bien inspiré…qu’on le retrouve presque note pour note dans Breath of Fire III. Coquin, va !

Le boss de fin :

Bon, si vous avez déjà entendu One-Winged Angel (que je ne remettrai pas ici, ce n’est pas le but), vous voyez de quoi je parle : de ces musiques qui vous hantent lors des joutes titanesques contre votre Nemesis ultime. Dans Dragon Quest, il s’agissait du roi démon et il n’y avait pas encore de musiques spécifiques pour les boss. Les choses ont changé depuis, mais l’idée reste la même : donner au joueur une expérience épique qu’il n’oubliera pas de sitôt. Quant aux musiques qui sortent des sentiers battus, parfois plus douces et mélancoliques (mention spéciale à Baten Kaitos Origins) cela pose un soucis car certains des meilleurs thèmes de cette catégorie spoilent l’histoire du jeu dans lesquels ils sont inclus. On se contentera avec délice de réécouter le thème du boss final de Bravely Default, qui illustre bien ce qu’on attend du genre.

Le final :

Si la première impression est toujours la plus importante, la dernière est souvent la plus personnelle. C’est d’autant plus vrai avec les J-RPG, qui mettent plusieurs dizaines d’heures en moyenne pour arriver à la fin du jeu. Du coup, il s’agit souvent de récompenser le joueur en lui procurant un best-of des ambiances musicales proposées, ou bien de lui faire monter les larmes aux yeux au moment de dire au revoir (je pense à toi, Persona 5). Là aussi, les risques de spoils sont assez élevés, donc un seul thème suffira : celui de la fin de Mother 2/Earthbound, qui vous permettra, même sans y avoir joué, de goûter à son ambiance enfantine mais aussi parfois…malsaine.


Dépasser l’horizon Dragon Quest, une gageure désormais franchie ?

Les huit catégories précédemment citées restent pour la plupart pertinentes de nos jours, bien que certaines comme la carte du monde soient désormais transformées en musiques de « terrain » ou « fields ». De même, les musiques de boss (de fin ou non) se sont multipliées au sein d’un même jeu, il n’y a quasiment plus de musique de « château » à proprement parler.

Le changement principal apporté ces dernières années vient de la place de plus en plus importante des personnages au sein des histoires et de la narration des J-RPG. Je ne parle pas uniquement de la création de thèmes de personnages que Dragon Quest a adopté très vite. Non, je pense ici au travail de Nobuo Uematsu sur la saga Final Fantasy, qui a imposé le leitmotiv dans les jeux vidéo : la présence du thème d’un héros ou d’un ennemi dans d’autres thèmes afin de créer des échos musicaux. Exemple : le thème principal de FF V, qu’on retrouve dans le thème de Lenna, plus mélancolique. De manière générale, dès FF VI, Uematsu parvient à lier les personnages aux archétypes déjà évoqués, comme le thème de château de Figaro est aussi celui de Sabin et Edgard, les princes jumeaux de ce royaume. De même le thème de Terra est aussi celui de la carte du monde (avant sa destruction par Kefka).

Cette année 2017 nous a donnée plusieurs OST marquantes dont une, toute particulièrement, qui prend de nombreuses libertés avec le modèle de Dragon Quest : celle de Nier Automata, qui se fout complètement des formules établies. Déjà avec le premier Nier, Keiichi Okabe, le compositeur de la saga, n’hésitait pas à multiplier des versions différentes de deux-trois thèmes afin de les adapter à la situation. Ici, c’est encore le cas pour près d’une dizaine de morceaux, dont l’ajout de chants. Une vraie réussite d’autant plus importante que cette fois, le jeu s’est bien vendu.

Bref, si le monde du J-RPG s’est progressivement constitué un répertoire musical, sublimé par les compositeurs les plus talentueux, l’influence du premier Dragon Quest est encore très présente. D’ailleurs, le prochain Ni no Kuni 2 (un RPG de Level 5) s’annonce comme un représentant assez classique du genre. Ce qui sera confirmé si sa musique suit la lignée du premier Dragon Quest et des FF les plus connus. En espérant que le thème de combat soit entraînant. Parce-que sinon, farmer pendant 20 heures ça risque d’être long. Très long…